Du déroulement multiple et révélé du temps, affleure le bal des retrouvailles
une composition de Emmanuel Hieaux
inspirée des travaux du Judith Miné-Hattab
Du déroulement multiple et révélé du temps, affleure le bal des retrouvailles
une composition de Emmanuel Hieaux
inspirée des travaux du Judith Miné-Hattab
Emmanuel Hieaux
Emmanuel Hieaux est né à Dreux en 1958. Il reçoit une formation à la fois musicale et littéraire : Études de piano à l’Ecole Normale Supérieure de musique de Paris et Licence de lettres et de littérature anglaise à l’université de Nanterre. Dès lors, les correspondances de la musique avec d'autres formes d'expression artistique sont à l'origine de plusieurs de ses partitions, telles que : Sur trois Poèmes d’Eluard pour violon et piano, la suite Et Dieu vit que cela était bon d’après les toiles du peintre Guillaume Villaros, une musique intégrale pour le film l’Aurore de Murnau ainsi que pour le conte Hänsel & Gretel d’après Grimm.
Sa rencontre avec la pianiste Yvonne Lafarge se révèle déterminante, tout comme ses études d’écriture et de composition sous la direction de Jacques Castérède, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Dès l’enfance, Schumann et Ravel figurent parmi ses compositeurs préférés. Par la suite, Berg et Bartók l’ont particulièrement inspiré. Pour le musicologue Philippe Fourquet : "La musique d’Emmanuel Hieaux se développe souvent librement autour d’une ligne narrative. Son esprit d’analyse et son goût du détail n’enferment aucunement son langage dans des règles d’écriture trop strictes et figées."
En 1990 et 1991, il est lauréat de la Fondation Robert Laurent-Vibert au Château de Lourmarin et rejoint l’association du Triptyque à Paris. Depuis, Emmanuel Hieaux reçoit de nombreuses commandes pour des solistes ou des formations instrumentales (l’Ensemble Rhapsodes, le Trio Pangea, le Quatuor Kocian, le violoniste André Pons-Valdès, les pianistes Ivan Klansky, Richard Damas, Bruno Belthoise).
Ses œuvres sont enregistrées, jouées en France ou à l’étranger (Canada, République Tchèque, Chili, Portugal...) et ont été diffusées sur France-Musique, Radio-Classique Québec, Prague Classique FM, ainsi que sur Antena 2 à Lisbonne.
L’année du baccalauréat, j’ai intensément désiré entreprendre des études de biologie dans le but de me consacrer à la recherche. En effet, aller toujours plus loin dans l’observation objective d’un fait, tenter de l’interpréter en fonction des connaissances acquises sans cesse renouvelées et de sa propre intuition était pour moi un fabuleux cheminement tout de rigueur et de liberté.
Ce qui m’a été donné d’entendre a prévalu et je me suis consacré à la composition. Depuis, je n’ai eu de cesse de suivre le fil fragile et secret de l’audition intérieure et de le révéler.
Le projet Muse-IC initié par Judith Miné-Hattab est une remarquable occasion de mettre en regard la disponibilité du chercheur et du compositeur : tous deux dévoilent un fragment de ce qui leur préexiste et servent ainsi de nouvelles perspectives dans leur domaine. Ils sont en quelque sorte des archéologues du renouveau et du progrès.
Emmanuel Hieaux présente sa composition: "Du déroulement multiple et révélé du temps, affleure le bal des retrouvailles"
pour clarinette en Sib, quatuor à cordes, marimba et piano.
Ma rencontre avec le sujet de recherche de Judith Mine-Hattab a été fulgurante : insouciance, rupture et réparation ; voilà un conte scientifique, une allégorie de la vie dont la mise en musique allait me permettre d’unir la description rigoureuse de la découverte à l’insolente et harmonieuse licence poétique et d’écrire une pièce en trois mouvements encadrés d’un prélude et d’un postlude dans un déroulement ininterrompu.
Dans un univers peuplé d’entités qui se meuvent dans une parfaite plénitude, un long double-brins d’ADN apparaît, séduit et mu par un désir sans cesse grandissant ; il s’enroule autour d’elles, se resserre et devient une minuscule et dense pelote qui, dans un rythme de plus en plus effréné, danse au-dessus du volcan. Survient la cassure. Le double-brins fractionné s’affole et souffre d’avoir perdu une partie de lui-même. S’ensuit le temps de la réparation. Il lui faut retrouver son double qui lui remettra la partie manquante et lui permettra de retrouver son unité. Une fois cela accompli, revient la paix.
Les nombreux échanges avec Judith, tout autant biophysicienne que musicienne, ont été enrichissants et féconds tant dans l’observation objective que dans l’interprétation subjective :
Mise en place des protagonistes
– Rôle-titre : le double-brins d’ADN est interprété par l’alto et la clarinette. Indissociables l’un de l’autre, ils ne cesseront de dialoguer, toujours unis, que ce soit dans la sérénité, l’insouciance, le désir, la douleur, la souffrance et la paix retrouvée.
– Le chœur : Protéines sur lesquelles s’enroule le double-brins qui sont autant d’entités indépendantes l’une de l’autre; le piano, le marimba, le violoncelle et les deux violons chanteront, danseront en un contrepoint mélodique et rythmique.
- Pulsations multiples. Interprétation subjective des causes de la cassure. Chacune des entités respire et se meut sur une pulsation qui lui est propre. Autant de libertés individuelles en autarcie sur lesquelles le double-brins, séduit, s’enroule et s’anime jusqu’à l’excès et la rupture.
- Découpage objectif du temps de réparation. Mesurer cette durée à des échelles de plus en plus petites permet de révéler, simultanément à l’immobilisme apparent des éléments, leurs mouvements de plus en plus vifs.
Cette collaboration si sincère et naturelle avec Judith est une nouvelle pierre blanche sur mon chemin. Elle me permettra désormais de me rendre encore plus disponible au monde sensible et de l’interpréter dans un fécond et rigoureux respect.
Merci à Judith Mine-Hattab et Angela Taddei.
Cassure double-brins : une danse multi-échelles
un sujet proposé par Judith Miné-Hattab, Rodney Rothstein laboratory, Columbia University Medical Center, New York, USA.
L’information génétique définissant les organismes vivants est contenue dans l’une des plus incroyables macro-molécules : l’ADN. Cette information est codée à l’aide de 4 bases chimiques : adénine (A), guanine (G), cytosine (C), and thymine (T), alignées sous forme d’un long filament. Tel un véritable alphabet à 4 lettres, la séquence avec laquelle ces 4 bases chimiques sont alignées détermine l’information génétique nécessaire au développement de tous les organismes vivants. Chez l’Homme, l’ADN est formé d’environ 3 milliards de bases chimiques contenues à l’intérieur de chacun des noyaux de nos cellules. Complètement déroulée, la molécule d’ADN mesure 2 mètres de long, alors qu’elle doit rentrer à l’intérieur d’un noyau d’environ 10 micro-mètres de diamètre, soit 200 000 fois plus petit que la longueur de l’ADN déroulé. La manière dont cette fibre d’ADN s’enroule et bouge à l’intérieur du noyau passionne de nombreux chercheurs travaillant dans divers domaines allant de la biologie cellulaire, la modélisation, la microscopie …
L’organisation tridimensionnelle et la dynamique de l’ADN jouent un rôle clé dans différentes fonctions biologiques comme la transcription ou la réparation des dommages de l’ADN. Par exemple, la manière dont l’ADN s’enroule permet à certaines séquences (codant pour des gènes actifs) d’être facilement accessibles, tel un livre organisé en chapitres qui pourraintt rester ouvert plus facilement à certaines pages. A l’inverse, d’autres séquences codant pour des gènes inactifs sont peu accessibles. L’organisation tridimensionnelle est très perturbée dans des cellules venant de tissus malades, d’où l’importance de mieux comprendre comment cette organisation est régulée. La fibre d’ADN est très compactée dans le noyau, ; cependant, elle possède une certaine dynamique lui permettant d’explorer l’environnement nucléaire.
Au cours du cycle cellulaire, notre génome est constamment endommagé par différents agents comme la lumière UV ou des agents chimiques. Parmi les dommages de l’ADN, les cassures double-brins sont les plus dangereux : une seule cassure double brin, si elle n’est pas réparée, peut entrainer la mort de la cellule ou une instabilité de notre génome. Chez les eucaryotes, il existe 2 mécanismes permettant de réparer les cassures double brin dont la recombinaison homologue. Celle-ci utilise une séquence d’ADN identique ou presque (appelée séquence homologue) servant de modèle pour réparer l’ADN endommagé. Pour cela, la séquence endommagée doit trouver au sein de notre génome une séquence homologue intacte, puis s’aligner parfaitement avec celle-ci. La recherche d’une séquence homologue est étonnamment efficace compte tenu du degré de compaction de l’ADN dans le noyau des cellules. En effet, étant donnée la taille de notre génome, trouver une séquence homologue au sein de notre génome serait équivalent à retrouver une phrase dans 10 volumes du livre « Les Misérables » de Victor Hugo. Une fois l’homologie trouvée, l’ADN endommagé utilise l’ADN homologue intact comme modèle pour restaurer l’information génétique manquante.
En utilisant la levure comme système modèle, nous avons récemment étudié l’influence des cassures double brins sur le mouvement de l’ADN dans des cellules vivantes. Grace à des techniques avancées de microscopie de fluorescence et d’analyse d’images, nous avons suivi le mouvement de 2 régions homologues d’ADN au cours du temps, en l’absence puis en présence de cassures double brin dans le génome. Nous avons ainsi observé une augmentation importante de la dynamique de l’ADN après présence de cassures double brin, leur permettant d’explorer un volume nucléaire jusqu’à 10 fois supérieur ! Une telle augmentation de la dynamique de l’ADN en réponse aux dommages faciliterait la recherche d’homologie entre séquences homologues initialement éloignées.
La dynamique de l’ADN peut être mesurée à différentes échelles de temps, allant de quelques millisecondes à quelques minutes. Plus récemment, en utilisant des techniques de microcopie ultra rapides, nous avons visualisé le mouvement de l’ADN avant et après dommages à des échelles de temps jusqu’à 1000 fois plus rapides (1 image toutes les 10 millisecondes). Ces dernières expériences ont monté que la dynamique de l’ADN est plus complexe que nous ne l’anticipions. L’augmentation de mobilité décrite initialement se révèle être la partie apparente des modifications affectant le mouvement de l’ADN. En effet, en réponse à des dommages, l’ADN est en fait moins mobile lorsqu’il est observé de manière très rapide. Cette différence de dynamique en fonction de l’échelle de temps d’observation serait due à une augmentation de rigidité de l’ADN en réponse aux dommages.
Image du titre: Dans deux cellules de levure (représentées en bleue), nous avons représenté les trajectoires de 2 loci d’ADN homologues. Au dernier plan, la cellule ne possède pas de dommages, alors qu'au premier plan, la cellule possède environ 20 cassures double brin de l’ADN. Le changement de mobilité de l’ADN est nettement visible : après dommages, l’ADN explore un volume nucléaire beaucoup plus important. (crédit: Myles Marshall).
References:
Increased chromosome mobility facilitates homology search during recombination.
Miné-Hattab and Rodney Rothstein, Nat Cell Biol. 2012.
DNA motion upon double strand break
Miné-Hattab and Rodney Rothstein Trend in Cell Biology, 2013
Multi-scale tracking reveals scale-dependent chromatin dynamics after DNA damage.
Miné-Hattab et al., Mol Biol Cell. 2017.
Dynamique de la chromatine en réponse aux dommages de l’ADN : Une histoire multiéchelle
Miné-Hattab and Xavier Darzacq, Medecine/Science 2018