Quand l'ADN fait des boucles
une composition de Amir Bitran
inspirée des travaux du Leonid Mirny, Biophysicist
Quand l'ADN fait des boucles
une composition de Amir Bitran
inspirée des travaux du Leonid Mirny, Biophysicist
Amir Bitran
Amir Bitran est un scientifique et un compositeur dont la multiculturalité représente peut-être le moteur le plus important de son élan musical. Son éducation dans une famille mixte juive et latino-américaine aux États-Unis a façonné sa vision du monde et défini son langage musical. Les compositions d’Amir ont été interprétées aux États-Unis par des ensembles renommés, notamment le Parker Quartet, récompensé par un Grammy Award, le Boston Philharmonic Youth Orchestra et les Princeton Singers au forum des compositeurs pour chorales Lehigh/ACDA en 2018, ainsi qu’en Italie lors des Cortona Sessions for New Music de 2016 ou encore au Mexique par le Cuarteto Latinoamericano, également récompensé par plusieurs Grammy Awards. Amir est actuellement étudiant à Harvard où il étudie la composition avec Osnat Netzer et poursuit un doctorat en biophysique, son autre grande passion. Il cherche tout particulièrement à comprendre comment les molécules biologiques, telles que les protéines et l’ADN, acquièrent leurs structures fonctionnelles et comment ces structures élégantes et complexes ont évolué au fil du temps. Amir effectuait des recherches dans le groupe du professeur Leonid Mirny lorsque le laboratoire a été invité par le projet Muse-IC à présenter ses travaux scientifiques sur la manière dont l’ADN acquiert sa structure. Amir participe à ce projet en tant que scientifique, aux côtés du professeur Mirny, ainsi qu’en tant que compositeur. Il souhaite mettre à profit cette initiative pour conjuguer ses deux passions et présenter des avancées scientifiques passionnantes par le biais d’un moyen artistique expressif et universel.
Amir Bitran présente sa composition : "Quand l'ADN fait des boucles" pour clarinette en sib, violon, alto, violoncelle, piano, percussions.
Cette œuvre est une peinture musicale de l’ADN de notre corps et de ses dynamiques et structures changeantes et élégantes à la fois. Toutes les cellules de notre corps partagent le même génome (la totalité de l’ADN d’un organisme) et pourtant, chacune d’entre elles remplit des fonctions très différentes. Ces différences résultent de variations dans l’organisation physique du génome, qui détermine si différents gènes sont « activés » ou « désactivés ». Cette composition décrit les processus par lesquels le génome acquiert ses diverses structures, en se concentrant sur un processus récemment découvert par lequel les protéines extrudent de longues fibres d’ADN en boucles. Sur le plan musical, ces « boucles » émergent tout d’abord de l’alto et sont ensuite transmises à d’autres instruments ; elles grandissent et se rétractent pour créer des textures plus élaborées évoquant l’action et l’organisation concertées de multiples boucles dans l’ADN. Mais outre ce processus hautement dirigé et guidé, notre génome est également sculpté par des forces plus passives s’apparentant à la gravité, qui provoquent l’effondrement et l’union de différentes parties de l’ADN. Cet effondrement est décrit musicalement quelques minutes après le début de l’œuvre par des glissandi descendants ou encore des sonorités ressemblant à des soupirs. Bien que ces deux types de processus conduisent à des dynamiques contrastées, ils doivent travailler de concert pour organiser le génome. Au fur et à mesure que la pièce avance, on parvient à distinguer un certain rapprochement entre ces différentes textures musicales, qui finissent par se transformer en un grand final rappelant un choral. Les forces qui organisent notre génome à l’échelle microscopique sont changeantes et chaotiques, mais elles créent collectivement de magnifiques structures qui génèrent l’incroyable diversité de la vie sur Terre.
Quand l’ADN fait des boucles
un sujet proposé par Leonid Mirny, MIT, États-Unis, Amir Bitran, Harvard University Program in Biophysics, États-Unis.
Le génome des organismes vivants – à savoir l'ensemble de l'ADN qui transporte des instructions héréditaires à vie – est plus qu'un chapelet de « lettres » chimiques. En réalité, dans tous les organismes les génomes sont physiquement organisés en structures complexes qui sont cruciales pour leur fonction. Par exemple, grâce aux structures génomiques variées dans les différentes cellules humaines (p. ex. les neurones, les globules sanguins), ces cellules peuvent remplir des tâches différentes bien qu'elles partagent les mêmes séquences d'ADN sous-jacentes. Des anomalies dans la structure des génomes ont été reliées à diverses maladies, dont le cancer. Pour ces raisons, il est crucial de comprendre quels sont les mécanismes utilisés par les cellules pour organiser leur génome. Notre recherche a pour but de traiter cette question.
Le génome est structuré de manière hiérarchique. À la plus petite échelle, l'ADN est enroulé autour de protéines pour former une structure appelée chromatine. Cette chromatine est, à son tour, organisée en domaines, ou segments continus d'ADN (d'une longueur de quelques millions de paires de base), qui tendent à s'associer les uns aux autres. Les structures des domaines sont importantes pour la régulation de l'activation ou de la désactivation des gènes dans une cellule. Par exemple, les gènes inactifs peuvent être entassés dans des domaines étanches difficiles d'accès pour la machinerie cellulaire, tandis que les gènes actifs s'associent dans des domaines qui sont plus faciles d'accès. À une plus grande échelle, le génome est replié afin qu'il puisse entrer dans la cellule. Chez les humains, l'ADN – qui, si l'on devait le dérouler complètement, mesurerait plusieurs mètres – est comprimé dans un noyau cellulaire de quelques micromètres.
Cette remarquable tâche revient à faire entrer une ficelle de la longueur d'un gratte-ciel dans une graine de sésame !
Notre travail a proposé un mécanisme simple pour expliquer la formation de structures de chromatine, en particulier à l'échelle de longueur intermédiaire des domaines. Notamment, nous supposons que la chromatine, à l'intérieur d'un domaine, est réunie par des boucles. Étant donné que ces boucles grandissent de plus en plus avec l'aide des protéines, des régions plus distantes de l'ADN peuvent être mises en contact, permettant ainsi la formation d'une organisation à grande échelle. Nous avons effectué des simulations de ce processus, que nous appelons extrusion de boucle, et montré qu'il réussit à reproduire différentes structures génomiques observées à titre expérimental. Ceci donne à penser qu'un processus d'extrusion peut jouer plusieurs rôles importants dans l'organisation du génome à l'intérieur des structures fonctionnelles de cellules vivantes. Notre recherche actuelle vise à tester cette théorie en évaluant si elle peut créer des structures génomiques, et par conséquent favoriser les processus vitaux de régulation dans un large éventail d'organismes.
Voir la vidéo de modèles réalisés par le laboratoire Mirny
Modèle d'extrusion de boucle d'ADN par des condensines.
Première rangée, les règles actualisées utilisées dans les simulations : (A) une condensine crée une boucle par extrusion en bougeant ses deux extrémités le long du chromosome dans des directions opposées, (B) la collision de condensines liées aux chromosomes bloque l'extrusion de boucle sur les côtés entrés en collision, (C) une condensine se dissocie spontanément et la boucle se défait ; (D) une condensine s'associe à un site choisi de manière aléatoire et commence à former une boucle par extrusion. Deuxième rangée, (E) nous utilisons des simulations de polymère pour étudier comment l'action combinée de plusieurs condensines formant des boucles par extrusion modifie la structure d'un chromosome long.
La figure du titre représente des simulations de la séparation des chromatides sœurs dans le modèle d'extrusion de boucles.
Credit: Dr. Anton Goloborodko